Von HERNANDEZ
Vivre sur les déchets
18 avril. Me voici à Metro Manila, le Grand Manille, une métropole de plus de dix millions d’habitants qui concentre la moitié des industries du pays. Je rejoins l’équipe de Greenpeace pour un week-end de célébrations du Jour de la Terre. Nous enchaînons rires, discussions passionnées et treks en montagne : de quoi recharger les batteries de ces bénévoles qui donnent leur temps sans compter. De retour à Manille, nous partons avec Von Hernandez pour une manifestation sur une décharge illégale qui déborde sur le lac Laguna, une des réserves d’eau potable de Manille. Suivant la méthode bien rôdée de Greenpeace, tous les médias sont présents : presse écrite, télévision, radio et Internet.
Comme la plupart des huit cents décharges de Metro Manila, celle-ci héberge toute une population qui vit du tri et de la vente des déchets, dans une puanteur infernale. La plus célèbre est celle de Smoky Mountain, officiellement fermée mais encore exploitée comme une mine, avec ses galeries d’excavation. Ou encore celle de Payatas, qui a fait les gros titres en 2000 : suite à une tempête, une montagne de déchets a enseveli plus de trois cents personnes.
Je reste songeur devant ces enfants qui jouent au milieu des ordures, qui essaient d’y trouver quelques trésors… Leurs parents ont rêvé de la capitale, d’un emploi, d’une vie meilleure. Ils n’ont trouvé qu’exploitation et misère. L’un d’eux raconte avec fierté : « Ici, je gagne 250 pesos par jour [3,5 euros, de quoi acheter un peu de poisson ou deux kilos de riz]. C’est plus qu’à l’usine et je suis libre, je peux faire une pause quand je suis fatigué. En récupérant ce qui est recyclable, nous aidons l’économie, notre pays et notre planète. » L’avenir des décharges est un casse-tête. Les conserver, c’est polluer l’air et les eaux, et laisser vivre des dizaines de milliers de personnes dans des conditions à peine humaines. Les fermer, c’est priver ces familles d’une ressource qui leur permet de vivre. Comment leur proposer un avenir décent ?
Halte à l’incinération
Von a une réponse, l’économie circulaire et ses trois R : Réduire, Réutiliser, Recycler. « Les solutions techniques existent, il ne manque que la volonté politique de les mettre en place. Le verre, le plastique, le papier, les matières organiques, ne sont des déchets que parce qu’ils sont mélangés. Il faut les trier pour recycler les matériaux. » Mais aussi réduire la production de déchets : « Nous poussons l’industrie à investir dans l’éco-conception, pour que chaque produit soit à 100% recyclable. »
En attendant, il se bat contre les solutions non durables. Sa première victoire a été l’interdiction de l’incinération des déchets, une « solution » désastreuse qui dégage des dioxines cancérigènes. Un combat ardu contre une industrie puissante, qui a valu à une de ses partenaires de recevoir, en guise de menace, un bras coupé dans un colis : « Nos adversaires viennent des Chambres de commerce et d’industrie européenne et américaine, de la Banque asiatique de développement […]. Ce qui est remis en question, c’est le modèle occidental de surconsommation qu’ils veulent reproduire ailleurs. »
Des solutions communautaires
Sur le terrain, Von travaille avec des associations locales qui proposent des alternatives. Je visite le quartier de Bagumbuhay et sa politique Zéro déchet. Avec une mise de fonds initiale d’environ 600 euros, la commune a mis en place des bidons pour composter les ordures ménagères. Le compost est vendu à un pépiniériste, générant des emplois stables. Les déchets recyclables sont collectés en échange de bons d’achats de biens essentiels. Le reste est broyé et compacté pour fabriquer des dalles de pavage, un travail qui assure un revenu à trente familles autrefois indigentes. Le nombre de camions collectant les déchets a été divisé par dix : autant d’argent économisé par la municipalité, et disponible pour améliorer les infrastructures locales.
Von reste ainsi motivé malgré sa charge de travail : directeur de Greenpeace Asie du Sud-Est depuis 2008, il voit sa famille une semaine par mois. « Suis je optimiste ? Oui, il le faut. J’ai vu les solutions fonctionner pour les communautés, les gouvernements locaux : c’est la bonne voie. Il faut continuer à faire pression sur nos dirigeants pour changer de modèle de développement, passer des énergies fossiles à l’énergie solaire, et au Zéro déchet. » Von m’impressionne par sa capacité de travail, la force de ses convictions et sa vision à long terme. Je le quitte galvanisé, avec l’envie de m’impliquer plus encore.
Texte © A. Gouyon & S. Viaud
Pays : Philippines
Prix Goldman : 2003
Profession : Directeur de Greenpeace pour l’Asie du Sud Est
Signe particulier : A été nommé Héros de l’environnement par le magazine Time, tout comme Al Gore ou Mikhaïl Gorbatchev
« La guerre contre les déchets est une guerre contre la cupidité, l’ignorance, l’incompétence et l’apathie. C’est une guerre que nous devons gagner pour libérer nos sociétés de la roue infernale de la surconsommation. »
Pour déplacer des montagnes…
de déchets
Un problème :
-la ville de Manille génère des tonnes de déchets qu’il faut retraiter et induit de lourdes pollutions (air, eau et sols
Solutions :
-Interdire les incinérateurs et proposer des alternatives viables (tri sélectif, compostage, recyclage...)
-Valoriser l’économie circulaire et ses trois R : Réduire, Réutiliser et Recycler
-Dupliquer les solutions communautaires et les étendre à une échelle plus vaste
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