Tuenjai DEETES

 

Méditer dans la brume


Après deux nuits de bus du sud de la Thaïlande jusqu’à Chiang Rai, dans le nord, je retrouve enfin Tuenjai Deetes. Pas le temps de me reposer : elle m’emmène dans les villages des minorités avec qui elle travaille depuis le début des années 1970. Notre première discussion aura lieu à l’arrière d’un pick-up qui grimpe vers les montagnes, avec deux des membres de sa fondation et sa mère âgée de 80 ans. Je vais découvrir le travail de Tuenjai auprès des communautés du Triangle d’Or, cette région de montagne à la frontière de la Thaïlande, du Laos et de la Birmanie.


Première visite dans un village Lisu. Tuenjai me présente son travail : agriculture biologique, diversification des cultures, implantation d’herbes aux vastes réseaux de racines pour lutter contre l’érosion… Après une nuit dans sa fondation, dédiée au développement des communautés des montagnes, réveil à cinq heures dans la brume. Tuenjai m’initie au yoga et à la méditation. Je vis un de ces instants que l’on veut graver dans sa mémoire…


Comme Pisit, Tuenjai puise dans le bouddhisme les bases spirituelles de son travail. Un ancrage qui lui sauvera la mise en 1976 : après un coup d’État militaire, la répression s’abat sur les étudiants et en particulier ceux qui travaillent avec les minorités du nord. Tuenjai poursuit sa mission d’alphabétisation dans les montagnes. Quand les autorités viennent frapper à sa porte, elle se rappelle avoir dit : « Je crois à la paix et à la non-violence, et je veux continuer mon travail avec les tribus. » Un an plus tard, elle obtient le soutien du ministère de l’Éducation.


La leçon des peuples des montagnes


Les communautés du nord sont alors accusées de trafic de drogue et de prostitution, et de détruire les forêts par la culture sur brûlis. Tuenjai découvre une autre réalité. « J’ai d’abord séjourné chez les Lisu dans la province de Chiang Rai. Née à Bangkok, j’étais une fille de la ville. Je n’oublierai jamais le soulagement qu’on éprouve, après des heures de marche, en atteignant un village paisible au milieu de l’immense forêt. J’ai découvert que les montagnards menaient une vie simple et traditionnelle, en harmonie avec l’environnement. Leur esprit m’a inspiré. J’ai voulu comprendre et partager leur philosophie, leur mode de vie. J’étais charmée par les chants et le folklore, grâce auxquels les anciens transmettent leur savoir. »


Mais la situation est complexe. Un million de personnes vivent dans le Triangle d’Or. Elles appartiennent à des groupes ethniques minoritaires en Thaïlande. Beaucoup ont fui la junte birmane : les frontières n’ont pas de sens pour eux, ils sont Karen ou Hmong avant tout. Illettrés, sans acte de naissance, même ceux qui sont nés en Thaïlande n’arrivent pas à faire reconnaître leur citoyenneté. La première tâche de Tuenjai, qui lui vaudra d’être élue sénatrice, a consisté à les aider à obtenir des papiers. Avec la nationalité thaïlandaise, ils peuvent faire valoir leurs droits à la santé, à l’éducation, à la terre.


Respecter la culture locale


Tuenjai aide aussi les communautés à mettre en place des moyens de subsistance durables, sans dépendre de la culture de l’opium. Les villageois reviennent maintenant à une agriculture biologique. Une conversion motivée au départ par la hausse des prix des pesticides et des engrais chimiques, mais qui a des chances de persister : les cultivateurs constatent que la production se maintient, à partir du moment où ils préservent les sols. Mais surtout, Tuenjai veille au respect de la culture locale. Elle établit des écoles qui combinent le programme scolaire national avec le savoir des tribus. « Les enfants doivent être fiers de leur histoire et de leurs valeurs. Sinon, ils risquent d’assimiler aveuglément la culture dominante, et de se perdre. » Même méthode dans le domaine agricole : « Notre but n’est pas simplement d’introduire des techniques nouvelles, nous voulons aussi adapter, revitaliser des pratiques traditionnelles. Les Karens, par exemple, observent un système de rotation des cultures ancestral, qui permet aux sols de se régénérer. »


Je la quitte ému, sa voix douce résonne encore en moi : « Seule, je ne vais pas changer la marche du monde. Mais des petits groupes sont capables d’influencer les grandes orientations, d’indiquer la bonne direction ». Ces deux rencontres en Thaïlande m’ont apporté une grande paix. Le mélange de sérénité, de détermination et de simplicité de Pisit et Tuenjai a trouvé son chemin en moi. Puisse-t-il imprégner mes actes aussi puissamment que les leurs…



Texte ©  A. Gouyon & S. Viaud

Pays : Thaïlande


Prix Goldman : 1994


Profession : Co-fondatrice et Présidente de l’association Hill Area Development Foundation (HADF), ancienne sénatrice


Signe particulier : l’humilité incarnée

« Je veux voir un monde où les gens peuvent vivre en harmonie les uns avec les autres, et avec la nature dont ils font partie. »

Pour les peuples du Triangle d’Or

PortfolioPorfolioTuenjaiDeetes.html

Contact :


HADF, Chang Rai, Thaïlande

Email : hadfthai@loxinfo.co.th

Website : Hill Area Development Foundation

Un problème :

  1. -Mépris des peuples et minorités des montagnes du nord de la Thaïlande

  2. -Afflux de populations déplacées, déforestation et érosion des sols

Solutions :

  1. -Travailler au plus près des communautés, écouter leurs doléances et s’en faire porte-parole

  2. -Obtention d’un statut de citoyen à part entière

  3. -Revaloriser les savoirs traditionnels (agricoles, sanitaires, éducatifs)