Reinford MWANGONDE
Un jeune homme au regard clair et au verbe haut.
Reinford a fait ses études aux Etats-Unis et à leur suite devient diplomate au sein des Nations Unies pour le Malawi. Son pays lui attribue un mandat de cinq ans. Mais il démissionne pour rentrer dans son village et tenter de faire entendre la voix de sa communauté dans un projet controversé de mine d’uranium. Reinford est issu d’une famille au passé politique très engagé et il s’inscrit dans la continuité de leurs combats. Il possède une vision de la justice environnementale et sociale très aigue et n’entend pas la compromettre.
Le rôle des compagnies minières à l’étranger s’accompagne le plus souvent de secrets bien gardés. C’est ce qu’expérimentent les habitants du Malawi aujourd’hui tandis que quatre entreprises minières australiennes souhaitent s’installer et exploiter les ressources en uranium du pays. Paladin Africa Limited (filiale malawienne de Paladin Resources Ltd), la plus avancée dans ses démarches, entend exploiter le site de Kayelekera au nord du Malawi. Mais de nombreuses préoccupations émergent quant aux impacts environnementaux à craindre suite aux opérations minières. De plus, des irrégularités sont à noter dans les processus de consultation des communautés, l’accès aux informations et leur participation aux accords et décisions. De fortes craintes existent que ces opérations minières contaminent le lac Malawi, le troisième plus vaste lac d’Afrique et source principale d’eau potable pour les populations locales.
Les membres de « Citizens for Justice » souhaitent que ces entreprises minières respectent les mêmes normes et standards au Malawi que ceux qu’elles respectent en Australie. Mais ce n’est apparemment pas ce que les dirigeants de Paladin ont en tête. Le Herald Sun de Melbourne cite John Borshoff, directeur exécutif de la compagnie : « il y a eu en Australie de fortes exagérations autour des problématiques environnementales et sociales autour des opérations minières liées à l’uranium, ce qui a forcé des compagnies telle que Paladin à s’installer en Afrique ». Les risques de pollutions semblent donc bien réels.
Il faut également anticiper les difficultés posées par le transport du minerai. Le Malawi ne possède pas d’accès à la mer et la route via la Tanzanie est très mauvaise, 1400 km de pistes où les accidents ne sont pas rares. Reinford travaille avec des ONGs tanzaniennes afin d’étudier les risques concrets et, à défaut de les faire disparaître, de les minimiser. Il essaie également de mettre en place un système qui ne permettrait pas à l’entreprise de fuir ses responsabilités en cas de catastrophe.
Reinford n’hésite pas à qualifier les comportements de ces entreprises de « racisme environnemental ». Il conduit à l’installation de doubles standards et à la stabilisation des failles de systèmes politiques trop faible pour s’opposer à la puissance financière de ces entreprises. Il nourrit la corruption, car il est moins cher d’acheter quelques fonctionnaires que de mettre en place des technologies propres. Une évaluation d’impact écologique (EIA) a été soumise par Paladin au gouvernement du Malawi en octobre 2006. D’après John Borshoff, cet EIA répond aux standards internationaux les plus exigeants et il insiste sur le fait qu’un panel d’experts y a contribué. Il déclare également que la mine de Kayelekera devrait permettre de fournir plus de 1200 opportunités d’emplois.
Mais Reinford a sollicité un second avis, celui du Dr Gavin Mudd (Monash University Environmental Engineering) et il est tout autre. « Paladin ne répond certainement pas aux standards australiens et cette entreprise ne pourrait pas recevoir d’agrément en Australie si elle présentait cette même évaluation d’impact ». Et comme il n’y a personne au ministère des Mines et Ressources Naturelles du Malawi qui possède les compétences requises pour évaluer ce type d’opérations, toutes les informations proviennent de la compagnie minière elle-même. Reinford pense qu’elle choisit donc de gommer les aspects négatifs de ses opérations afin d’emporter la partie.
Paladin Energy Ltd et le gouvernement ont pris conscience de la portée des arguments de Reinford et ses alliés et de leur capacité à gagner leur recours en justice. « Ils ont gagné du temps, disant vouloir trouver un accord. Ils ont alors utilisé leur argent pour nous diviser, ciblant individuellement les personnes impliquées. Et ils ont parfaitement réussi, notre réseau s’est effondré » soupire Reinford. En effet, les chefs de communautés s’opposent. Si le chef Kiloupula émet de profondes réserves déclarant que les risques de contamination ne valent pas l’argent distribué, le chef Kayelekera se dit satisfait aujourd’hui. « Maintenant que Paladin nous a donné de la nourriture pour toute l’année et que nous sommes habitués à notre nouvel emplacement, nous sommes heureux ». Et profitant des largesses de la compagnie, il dit laisser les décisions dans les mains du gouvernement qui « n’acceptera rien qui puisse faire du mal à ses concitoyens ».
L’étape suivant pour Reinford est de confronter l’entreprise sur ses terres à Perth en Australie et de l’obliger à répondre aux questions de ses actionnaires. Il lui faut faire savoir ce qui se passe au Malawi. Il travaille donc avec des ONGs australiennes sensibles à son combat.
Néanmoins dès février 2007, un premier agrément est passé entre le gouvernement du Malawi et la compagnie minière australienne Paladin Resources Ltd. Il lui assure des conditions financières (taxes, retour sur investissement...) très intéressantes et lui demande de construire diverses infrastructures (éducatives et de santé) dans la région d’exploitation. Rien n’est spécifié quant au suivi de ces mêmes infrastructures. Le 09 avril 2007, le gouvernement du Malawi a délivré un permis d’exploitation à Paladin Energy LTD (Licence minière ML0152). Il couvre une zone de 55km² aux alentours de Kayelekera, pour une période de 15 ans, renouvelable pour une seconde période de 10 ans. Le projet Kayelekera est donc budgété, sa construction est estimée pour la fin de l’année 2008 et l’exploitation devrait débuter dès début 2009.
Pays : Malawi
Profession : Diplomate, directeur de l’ONG Citizens For Justice
Signe particulier : Dire toujours à voix haute ce que bien d’autres ne font que penser
« Ces entreprises multinationales se développent dans le tiers-monde dans le but de réaliser des profits considérables, ce qui a parfois abouti à des violations des droits de l’homme ainsi qu’à une absence de responsabilité sociale chez certaines d'entre elles, celles-ci camouflant leurs manquements derrière une phraséologie de développement, de mondialisation et de promotion du commerce. »
Un problème :
- Impacts environnementaux d’opérations minières
Solutions :
-mettre en place des études d’impact environnementale indépendantes
-internationaliser le combat, notamment sur le territoire d’origine des multinationales impliquées, en coopérant avec d’autres ONGs
Pour un développement humaniste
Des règles faussées, au profit des multinationales ?
D’après Reinford, il est de courant que des entreprises fassent pression sur les décideurs politiques pour obtenir une application molle des législations ou pour marchander des contrats. « De nombreux décideurs politiques dans les pays occidentaux reçoivent une aide financière d’entreprises pour financer leurs campagnes électorales ».
En raison même de leur caractère non contraignant, les principes directeurs de l’OCDE ne rencontrent que rarement les attentes des nombreuses ONGs et communautés locales victimes aujourd’hui des activités de multinationales à l’échelle mondiale. La plupart des ONGs et communautés locales exigent un respect intégral de leurs droits fondamentaux et souhaitent que les multinationales se conforment aux principes de base de la responsabilité sociale des entreprises. Ce qu'elles rechignent à faire.
Reinford noircit le tableau « la plupart des sociétés multinationales déploient leurs activités dans des zones à très faible présence administrative et, de ce fait, ne respectent pas les lois en vigueur dans le pays d’accueil ». Les communautés locales ne savent pas vers quelles instances se tourner, les possibilités de faire respecter les lois font défaut.
Dans certains cas où les communautés locales ont fait usage de la législation, Reinford souligne qu’elles se sont heurtées à des fonctionnaires corrompus par les cadres dirigeants d’entreprises. Elles deviennent par là les victimes des seuls textes réglementaires qui, appliqués, auraient pu les mettre à l’abri. Pour Reinford, les principes directeurs de l’OCDE « doivent être revus de façon à permettre une plus grande participation de délégués du tiers-monde et ouvrir ainsi la voie à une application plus stricte des principes directeurs aux sociétés transnationales. Cela contribuerait à l'impartialité du processus dans l’intérêt des communautés des pays du tiers-monde. »
Et son discours se fait plus ambitieux « les principes directeurs devraient aller au-delà de la responsabilité sociale des entreprises. Ils devraient également obliger les sociétés multinationales à apporter davantage aux communautés locales parmi lesquelles elles développent leurs activités. J’entends par là que ces sociétés devraient mettre en place des programmes destinés à promouvoir des moyens d’existence durables pour les communautés locales installées dans l'environnement immédiat de leurs activités, et ne pas se contenter de fournir quelques emplois ou de construire ici et là une école ou un petit hôpital ».
Bref, la vision de Reinford se veut holistique et humaniste. Les entreprises multinationales devraient aider les communautés locales à développer des techniques agricoles leur permettant d’atteindre un niveau d’autosuffisance susceptible d'éliminer la pauvreté. « Le monde occidental dit vouloir éradiquer la pauvreté extrême. Les sociétés multinationales devraient s'en faire les messagers ».
En conclusion, il reste beaucoup à faire pour que ces principes directeurs de l’OCDE se hissent au rang inégalé du meilleur instrument international disponible pour promouvoir la responsabilité sociale des entreprises. « Il faudrait pour cela qu'ils deviennent contraignants. Il faudrait également que l'OCDE soit élargie à un plus grand nombre de pays afin de leur assurer un caractère plus universel. Et il faudrait contraindre les sociétés transnationales à devenir les ambassadrices des principes moraux et éthiques des pays riches dans ce qu'ils ont de meilleur, et ce afin de combattre les abus en matière de droits de l’homme et de la pauvreté extrême ».
C’est l’espoir qui anime Reinford et qui lui fait vouloir un avenir meilleur pour son pays et les siens. Finalement, est ce trop demander ?...
Texte © S. Viaud
Reinford Mwangonde, conférence internationale Les Amis de la Terre.
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