Pisit CHARNSNOH
« Je ne ferai rien pour vous »
8 juin. Depuis trois jours, j’arpente le Sud de la Thaïlande en compagnie de Pisit. Aujourd’hui, il fait face à un groupe de villageois remontés, désespérés. Charoen Pokhpand, un groupe agro-alimentaire tout puissant, a fait main basse sur le littoral et développe des élevages de crevettes : ces paysans, ces pêcheurs n’ont en effet aucun titre de propriété sur leurs propres terres. Ils attendent tout de Pisit… « Non, je ne ferai rien pour vous », répond-il de sa voix douce. Choc, murmures, silence. Il reprend : « Combien êtes-vous aujourd’hui ? Une poignée ? Vous devez d’abord unir tout le village pour pouvoir vous défendre. Ensuite seulement je pourrai vous aider. » Il leur donne l’exemple des communautés voisines, les aide à établir un plan d’action… À la fin de la matinée, le groupe est serein, déterminé. Pisit leur donne rendez-vous pour suivre leur progression.Il combattra avec eux, pas à leur place. Je viens d’assister à une démonstration de sa méthode : redonner le pouvoir aux communautés.
Fils de fermiers, diplômé d’une université agricole, Pisit a commencé à travailler avec les paysans du Nord dans les années 1960, avec une fondation spécialisée dans le développement rural. En 1985, il s’installe avec son épouse Ploenjai dans la région natale de celle-ci, la province de Trang sur la côte d’Andaman, célèbre pour ses eaux d’émeraude et ses falaises de calcaire. Ensemble, ils créent l’association Yadfon (« Goutte de pluie ») pour soutenir les communautés. Car il y a urgence. Ici aussi, la mangrove, cet écosystème forestier qui donne vie au littoral, est en danger. Production de charbon de bois, élevages de crevettes non durables… la moitié de la mangrove a disparu, et avec elle les poissons.
Le retour des sirènes
Yadfon a tout d’abord aidé les communautés à se battre pour préserver leurs droits contre l’invasion des élevages de crevettes et les méthodes de pêche destructive, comme l’utilisation de la dynamite ou des chaluts de fond. La première étape a été de faire revenir l’eau dans les fermes de crevette abandonnées, et de restaurer 95 hectares de mangrove.
Les prises de poisson ont alors augmenté de 40 % : un résultat exemplaire, qui a conduit le gouvernement provincial à déclarer cette zone comme étant la première mangrove gérée de manière communautaire. Ce modèle est aujourd’hui reproduit dans une trentaine de communautés soutenues par Yadfon.
Avec les mangroves et les poissons est revenu le plus mystérieux des habitants de la côte : le dugong. Ce mammifère marin, qui atteint atteint quatre mètres de long et près d’une tonne, broute les prairies sous-marines. Comme le dauphin, il aime jouer avec les hommes et a sans doute inspiré plus d’une histoire de sirène… La destruction du littoral a réduit à environ deux cent sa population, qui se régénère maintenant que les villageois ont restauré son habitat. Un miracle qui rend Pisit confiant : « Notre travail montre que si les plus pauvres sont soutenus, ils peuvent survivre et avec eux la forêt… En
général, si les gens sont bien informés, ils défendent la conservation des ressources naturelles. »
Inlassables, Pisit et Ploenjai développent de nouveaux projets : ils m’emmènent visiter une coopérative de femmes, qui produisent un artisanat de qualité à partir des feuilles du nypa, un palmier typique de la mangrove. Plus loin, c’est un programme de réintroduction de poissons et de replantation de sagoutier, un autre palmier dont le tronc est comestible. Les écoliers sont de la fête.
Former des leaders
Pourtant, les villageois doivent toujours se battre pour leurs droits face aux projets mis en place par le gouvernement, souvent dans la corruption – notamment le tourisme, le tourisme, sous la forme de tours « tout compris » qui ne bénéficient
pas à la population. La réponse de Pisit : travailler en réseau. Il fait se rencontrer les villageois de l’intérieur et ceux de la côte, pour leur montrer les liens entre leurs écosystèmes : ainsi, par exemple, un projet de palmier à huile dans l’intérieur. Tel projet de palmier à huile de l’intérieur va provoquer une érosion et des torrents de boue, qui vont polluer les eaux en aval. Ce leadership local s’est révélé précieux lors du tsunami de décembre 2004 : les comités villageois créés par Yadfon ont pris en charge distribution de nourriture et achat de nouveaux filets de pêche.
Je quitte Pisit après une dernière interview, autour d’une coupe de fruits dans son jardin. Nous parlons bouddhisme, bonheur, épanouissement… Jamais les mots « force tranquille » n’ont sonné aussi juste.
Texte © A. Gouyon & S. Viaud
Pays : Thaïlande
Prix Goldman : 2002
Profession : Fondateur et président de l’Association Yadfon
Signe particulier : Travaille main dans la main avec sa femme Ploenjai, son double, dans un mélange de grâce, de douceur et de fermeté
« Construire et renforcer les organisations villageoises est fondamental, c’est le fondement de la démocratie… Comme une montagne, il faut s’appuyer sur une large base, qui plonge ses racines dans les connaissances locales. »
Pour rendre la côte d’Andaman
aux communautés
Contact :
Yadfon Association
16/4 Rakjan Road, Tambon Thabtieng - Mueng District
92000 Trang - Thailand
Tel: +66 75 219737
Fax: +66 75 219 327
Email : yadfon@loxinfo.co.th
Un problème :
-Déforestation des mangroves, spoliation des propriétés des communautés de pêcheurs les plus pauvres
Solutions :
- Restaurer les zones de mangroves abîmées et gestion communautaire de ses espaces
-Utilisation du Dugong comme espèce symbole, au profit de la région
-Formation de leader communautaires, représentants tout les écosystèmes, de la montagne au littoral
-Programme éducatif, forte implication des scolaires
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