Oscar OLIVERA
Déboires en cours de route
8 décembre. Un bus fatigué me pose à Cocachamba, une ville d’un million d’habitants au cœur des Andes boliviennes, qui mêle Quechuas et descendants des colons. Les derniers jours ont été éprouvants, et ma vigilance s’est relâchée. Dix secondes d’inattention et on me vole mon appareil photo… Je me débrouille avec un mini-appareil prêté par un ami, mais les photos de Bolivie seront un peu pauvres. Sur place, j’oublie mes tracas grâce à l’accueil généreux d’Oscar Olivera, qui m’invite à fêter l’anniversaire de ses jumelles. Les dix jours qui suivent sont denses et intéressants. Difficiles aussi : le contexte est compliqué, et Oscar est le personnage le plus politisé que je rencontre depuis mon départ.
Issu d’une famille nombreuse, Oscar est né dans une petite ville de l’Altiplano, les hauts plateaux des Andes. Il a commencé à travailler très jeune et s’est engagé dans les milieux syndicaux. Il en est devenu l’un des leaders et est aujourd’hui Président de l’Union des travailleurs manufacturiers. Mais surtout, Oscar est l’homme qui a engagé – et gagné ? – la « Guerre de l’eau ».
La Guerre de l’eau de Cocachamba
A la fin des années 1990, le service d’eau potable de la ville n’est assuré que quelques heures par jour. La population a explosé, et les infrastructures n’ont pas suivi. Le gouvernement cherche des finances pour construire un nouveau barrage. La Banque Mondiale propose un prêt, mais pose une condition : privatiser la semapa, l’organisme public qui gère le service d’eau potable de la ville. Un appel d’offre est lancé. Un seul candidat : le consortium Aguas del Tunari, qui obtient une concession de quarante ans. Surprise, cette société est une filiale de la firme américaine Bechtel, proche de l’administration Bush. Bechtel réussit à inscrire dans le contrat une clause lui garantissant un retour sur investissement de 15% par an. Ce n’est certes pas la première privatisation que connaît la Bolivie, mais, comme le rappelle Oscar : « Pour le peuple, privatiser une compagnie aérienne, c’est invisible. L’eau, c’est autre chose, c’est la vie. »
Pour rentabiliser le service, AdT augmente la tarification et essaye de monopoliser toutes les sources d’eau locales. Le gouvernement n’ayant jamais fourni d’eau en zone rurale, les paysans ont construit des puits et des réseaux d’irrigation, sous forme privée ou coopérative. AdT leur en facture l’usage, et va jusqu’à leur demander de remplir des formulaires de demande d’autorisation pour la collecte des eaux de pluie ! « Un véritable vol du patrimoine commun », s’insurge Oscar, avant d’ajouter : « c’est ainsi que la guerre de l’eau a débuté dans les campagnes. »
Mobilisée par Oscar et ses réseaux, la population lance une série de manifestations qui seront réprimées dans le sang : en quatre jours, six personnes seront tuées dont un garçon de 17 ans, et 175 blessées(1). Alors que je fais le tour de la place centrale, ombragée et souriante, je peine à imaginer qu’elle a connu les cris et la terreur…
Quelle alternative à la privatisation ?
Les protestataires finiront par avoir gain de cause. En avril 2000, AdT se retire et la loi de privatisation du secteur de l’eau est remplacée par une nouvelle version, rédigée par la « Coordinadora del Agua y de la Vida », un espace citoyen auto-organisé. Mais derrière cette victoire, il reste tout à faire. La gestion des eaux est redonnée à la semapa, appuyée par des représentants des quartiers. Elle réussit à étendre le réseau et à maintenir des tarifs bas, favorables aux plus pauvres. Pourtant, cinq ans après la victoire, seuls 55% des habitants étaient connectés au réseau d’eau. Les familles des quartiers les plus défavorisés doivent acheter de l’eau en citerne, au prix fort.
Seul espoir, ces quartiers pauvres s’organisent en comités d’utilisateurs afin de gérer leurs propres systèmes d’approvisionnement. Ils espèrent bientôt profiter de crédits internationaux débloqués pour la semapa. Ce pourrait être l’amorce d’une solution durable. Car, comme le souligne Oscar, même s’il reste difficile de mobiliser la population, « les choses ne changeront pas tant que les gens ne participeront pas à la gestion. »
La Guerre de l’eau n’est pas encore gagnée. La population livre maintenant un combat – au long cours, moins spectaculaire – pour construire un service d’eau potable digne de ce nom. Elle peut compter sur Oscar qui, toujours aussi combatif, me rappelle avant mon départ ses principes pour la gestion de l’eau : « transparence, efficience, contrôle social et justice sociale dans le service ».
(1) M.N. Barnett et R.Duvall, Power in Global Governance, Cambridge University Press, 2005.
Texte © A. Gouyon & S. Viaud
Pays : Bolivie
Prix Goldman : 2001
Profession : Ouvrier et leader syndicaliste
Signe particulier : A refusé un poste au gouvernement pour conserver son indépendance et sa liberté de parole
« Alors que la peur nous écrasait, nous, peuple de gens humbles, de travailleurs, avons montré au pays et au monde entier que l'espoir était possible. »
Pour un accès à l’eau équitable
Un problème :
- Privatisation du système de gestion de l’eau potable de la ville.
Solutions :
-Signifier que tout ne peut être bien de consommation, «l’eau c’est la vie»
-Mobiliser autour de ce message les populations rurales et urbaines
-Mettre en place un service public de l’eau qui soit transparent, efficace, juste et contrôlé démocratiquement
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