Olya MELEN
Pélicans en péril
20 novembre. J’ai choisi de terminer ce livre par ce qui est le plus proche de chez moi. Et pourtant, c’est bien par l’Ukraine et Olya Melen que j’ai commencé ce tour du monde, alors que j’étais enseignant à Moscou. A mon arrivée, pas de réservation d’hôtel… qu’à cela ne tienne, je suis accueilli à bras ouverts par la famille d’Olya, et j’ai la chance de partager le repas dominical avec ses parents en costume traditionnel.
C’est un peu par hasard qu’Olya est devenue la championne de la nature. À la fin de ses études de droit, elle fait un stage dans l’association epl (Environment-People-Law) qui défend les droits des citoyens en matière d’environnement. Un moyen d’acquérir une expérience avant de chercher un travail « sérieux ». Séduite par l’état d’esprit et la noblesse des causes, elle ne quittera plus epl. Ses premiers combats seront pour aider les habitants de Lviv, sa ville natale, à préserver leurs parcs face aux investisseurs. « Très vite ce fut plus qu’un travail : un idéal, une manière de vivre », raconte-t-elle en souriant.
En 2003, le Président ukrainien promulgue un décret qui modifie les frontières de la Réserve de Biosphère du Danube, une zone humide qui renferme la plus vaste étendue de roseaux du monde et accueille 325 espèces d’oiseaux, 70% de la population mondiale de pélicans blancs et la moitié de celle de cormorans pygmées. L’enjeu : permettre la construction d’un canal de navigation du Danube à la Mer Noire – un canal qui couperait la réserve en deux, menaçant les aires de reproduction de nombreuses espèces. Olya et son équipe ouvrent alors une enquête : « J’étais choquée par ce projet impudent, négligeant les lois, l’opinion publique et l’environnement. » Mais que faire face au ministre des Transports, qui venait de déclarer publiquement : « Écoutez, les lois ne sont pas formellement respectées ici, à Kiev, et vous voulez qu’elles soient suivies dans ces marécages ? »
Une avocate qui dérange
C’est compter sans la détermination d’Olya. Son attachement au Delta du Danube a débuté dès sa première visite : « Je n’avais jamais vu un tel paradis pour les oiseaux et les poissons. Dans le Delta, on se sent hors du temps, on oublie les histoires du monde actuel… » Mais très vite, elle comprend qu’elle s’attaque à une puissante machine d’État: « J’ai vu une juge, tremblante et en pleurs, nous expliquer en privé sa décision en notre défaveur. Elle nous a exprimé son admiration... mais elle avait reçu un coup de fil d’en haut. » À moins de 24 ans, Olya fait face. Risquant sa vie dans ce pays de non-droit, elle progresse, procès après procès, utilisant le droit international : en construisant le canal, l’Ukraine violerait plusieurs conventions dont elle est signataire, alors qu’elle cherche à rejoindre l’Union Européenne. Olya finit par obtenir l’invalidation de l’étude d’impact environnemental du projet. Une première victoire annulée en appel, mais qui donne confiance à sa coalition.
En 2004, nouvel espoir : la Révolution Orange met fin au régime pro-russe du président Youshchenko. Le nouveau ministre de l’Environnement renvoie au port les bateaux de dragage qui ont commencé, en toute illégalité, à creuser le canal. Mais très vite le climat politique s’infléchit : l’ancien président est nommé premier ministre, et le projet est relancé. Aujourd’hui encore, l’avenir est incertain. En 2007, la Cour Suprême du pays a tranché en faveur de la protection du Delta. Pourtant, la construction du canal continue, malgré les protestations répétées de l’autorité portuaire européenne.
Un projet durable pour le Delta ?
En attendant, Olya a obtenu d’importants résultats. Le système judiciaire ukrainien a confirmé le droit de la population à utiliser la convention Aarhus, un accord international sur la participation du public et l'accès à la justice en matière d'environnement. Olya continue le combat contre le canal, étudiant des alternatives avec ses partenaires : « Naturellement l'Ukraine a besoin de canaux, l'économie doit se développer, l'Ukraine doit avoir son propre accès vers la Mer Noire et le Danube. Mais il y a différentes méthodes et différents prix à payer », explique Olya. Pour elle, préserver la biodiversité du Delta permettrait un développement reposant sur des services et des activités de qualité, comme l’écotourisme ou l’agriculture biologique. Garde-t-elle confiance ? Oui, sans aucun doute : « Rien n’est impossible, nous devons continuer à frapper à toutes les portes imaginables : on ne sait jamais laquelle finira par s’ouvrir. » Un discours que j’entendrai souvent dans ce tour du monde.
Texte © A. Gouyon & S. Viaud
Pays : Ukraine
Prix Goldman : 2006
Profession : Avocate, directrice du département des affaires légales de l’association « Environment-People-Law »
Signe particulier : est la plus jeune lauréate du prix Goldman
« Le fragile delta du Danube avait besoin d’une avocate. Je me suis sentie obligée de faire de mon mieux pour sauver les pélicans, les hérons, les libellules, les tortues et les poissons. »
Un problème :
-Construction d’un canal de navigation au sein du delta du Danube, mettant en péril la faune, la flore et les communautés locales.
Solutions :
-Utiliser le droit international et les conventions signées par le pays pour arrêter les travaux.
-Proposer des alternatives économiques (écotourisme ornithologique) aux communautés locales.
Pour le delta du Danube
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