Nat QUANSAH
L’armoire à pharmacie du monde
5 octobre. Je me pose sur la « Grande Ile », Madagascar. Presque aussi vaste que la France et relativement isolée, elle concentre près de 5% des espèces présentes sur Terre, dont la majorité sont endémiques et n’existent donc nulle part ailleurs. Parmi elles, des lémuriens que je découvrirai dans la région d’Antananarivo. Ces merveilles sont en sursis : la Grande Ile a déjà perdu plus des trois quarts de ses forêts, et si rien n’est fait, elle perdra le reste d’ici quinze ans.
Dans un pays aussi pauvre, il est impensable de protéger la Nature pour le plaisir : il faut donc valoriser les ressources qu’abrite la forêt. Or, si l’Amazonie est parfois vue comme le poumon de la planète, Madagascar en serait… l’armoire à pharmacie. Au moins 7 700 des 12 000 espèces végétales recensées dans l’île auraient des propriétés médicinales. L’humble pervenche de Madagascar offre ainsi des molécules efficaces contre la leucémie, les cancers du sein et du poumon, la tachycardie et l’insuffisance cardiaque ! Chaque jour, la déforestation détruit des espèces inconnues, qui contenaient peut-être le prochain remède contre le cancer ou contre la grippe.
Pour les Malgaches, le problème est encore plus urgent : il s’agit d’accéder aux soins. « Les produits pharmaceutiques occidentaux ne sont pas toujours disponibles ou accessibles à Madagascar, m’explique Nat Quansah. De plus, d’innombrables remèdes à base de plantes traditionnelles ont été dévalorisés et oubliés. » Ce Ghanéen d’origine a relevé un double défi : permettre aux plus démunis de se soigner tout en revalorisant les ressources locales.
Soigner et surtout former
Notre première rencontre se déroule à Fort Dauphin, dans le sud de l’île, où Nat m’accueille et me présente son équipe. Nous parcourons les pistes jusqu’à Faux Cap, où des étudiants américains et malgaches transpirent côte à côte. Nat forme ainsi les responsables des programmes de développement à l’usage des plantes médicinales. Il reçoit des étudiants du monde entier, médecins, agronomes, anthropologues, spécialistes de l’écologie… Le principe consiste à faire travailler en binôme des étudiants malgaches et étrangers. Alternant cours théorique et vie dans des familles, ils participent aux tâches quotidiennes, tout en collectant les informations dont ils ont besoin. Une expérience unique sur le plan scientifique, culturel et humain. Nat et ses collègues leur fournissent des conseils et s’assurent du bon déroulement du séjour.
Je profite de ces journées pour discuter avec Nat de son engagement, de ses convictions. « Obtenir le prix Goldman en 2000 a renforcé ma volonté de rendre les Hommes plus conscients et responsables vis à vis de l’environnement, et les aider à choisir des programmes de développement appropriés, écologiquement sain et durables », m’explique-t-il avec fierté.
En chantant…
La dernière journée me réserve une surprise. De leur village, les étudiants rejoignent la base du stage en dansant et en chantant ce que leur ont appris leur famille. Chaque village possède ses propres danses et chants, et tous ont a cœur de surpasser les autres par la qualité de leur prestations ! Mémorable.
Cette performance culturelle n’est pas que folklorique. Dans un pays comme Madagascar, les anciens sont dépositaires de connaissances précieuses sur l’usage des plantes. Des plantes que l’on retrouve sur les marchés, ou dans les cérémonies rituelles… Faire renaître la phytopharmacie, c’est aussi faire revivre des pans entiers de la culture. C’est ainsi qu’en 1993, Nat a ouvert une clinique au nord ouest de Madagascar, qui a soigné avec succès plus de 5000 personnes atteintes de diarrhées, toux, fièvres... Il y a développé un programme pilote combinant savoirs occidentaux et savoirs locaux. Après la fermeture de sa clinique par manque de fonds, il s’est consacré à l’enseignement, pour diffuser les acquis de son expérience.
Au retour vers la capitale, je traverse les mêmes paysages magnifiques, à la flore si dépaysante. Je reste deux jours à Fort Dauphin en compagnie de Nat et son équipe. Je quitterai le pays profondément touché par ces hommes qui luttent malgré les difficultés, convaincus de l’importance de leur engagement et de la possibilité qu’a chacun de faire une différence.
Texte © A. Gouyon & S. Viaud
Pays : Madagascar
Prix Goldman : 2000
Profession : Ethnobotaniste, enseigne l’usage des plantes médicinales.
Signe particulier : a travaillé avec les « sorciers » malgaches pour faire reconnaître leur savoir de guérisseur.
« L’utilisation durable de la biodiversité constitue le meilleur moyen de répondre aux besoins médicaux des populations les plus pauvres. »
Un problème :
-Perte de biodiversité et des savoirs traditionnels autour de la santé. Accessibilité aux soins pour les populations les plus pauvres.
Solutions :
-Accéder aux soins en revalorisant les remèdes à base de plantes traditionnelles.
-Faire travailler en binôme médecine traditionnelle et occidentale.
-Transmettre ces connaissances aux jeunes générations de scientifiques du monde entier.
Pour que les plantes soignent les Hommes
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