Juan Pablo ORREGO
A cheval contre les barrages
22 novembre. J’ai rendez vous avec l’équipe de Juan Pablo Orrego dans les locaux de son association à Santiago. Coup de chance, Juan Pablo part vers la Patagonie chilienne, 1500 km plus au sud, pour suivre un moment crucial de la campagne en cours contre les méga-barrages. Il y a organisé une cavalcade de 350 km à laquelle participent une centaine de personnes. Ébloui, je suis les cavaliers à travers des paysages d’une beauté mystique. Eaux turquoise du lac General Carrera, forêts semblant issues des premiers âges, sommets déchiquetés couverts de glaciers… Contempler ces cavaliers traverser leur terre me donne une impression de force intemporelle en mouvement. Le soir, j’admire les enfants qui s’occupent de leurs chevaux tandis que les adultes font griller des carcasses autour d’un feu digne de Rabelais.
Mais nous ne sommes pas là pour le tourisme. Endesa, un groupe énergétique espagnol, a acquis sous Pinochet les droits d’exploiter en toute liberté les fleuves Pascua et Baker. Cinq barrages géants doivent alimenter en électricité la capitale chilienne et l’industrie minière, à des centaines de kilomètres de là. Les conséquences : destruction des paysages, disparition d’espèces vivantes, émission de méthane par les plantes inondées et submersion de communautés entières, en particulier des peuples indigènes déjà en sursis. Au programme également, une ligne à haute tension de 2200 km, à travers douze zones naturelles protégées et des paysages uniques au monde.
Dans les années 1990, Juan Pablo a déjà réussi à stopper la destruction du fleuve Biobío, un autre géant patagonien. Sur six barrages prévus, seuls deux ont été construits. Le plus gros a noyé 70 kilomètres de vallées, fait disparaître huit espèces de poisson et disloqué la communauté Pehuenche, dont la culture remonte aux temps précolombiens. Sans l’action de Juan Pablo et de ses alliés, ces familles n’auraient même pas obtenu de compensation. « Ce qui s’est produit sur le Biobío ne doit pas se reproduire » gronde Juan Pablo. Face à un projet de près de 4 milliard de dollars, il mène la lutte depuis son bureau de trois-pièces, soutenu par une formidable coalition d’associations à travers tout le pays, par une équipe internationale de juristes, et des ONGs américaines et espagnoles, dont Greenpeace.
La leçon des peuples premiers
Dès le deuxième jour de la cavalcade, Juan Pablo tombe malade. Il restera alité plusieurs jours, pendant lesquels je le nourrirai à coup de soupes de la cantine des pompiers. Pour tromper son ennui, nous parlons. De son parcours incroyable, éclectique… Enfant de la bourgeoisie chilienne, il a étudié la biologie aux États-Unis avant de devenir bassiste professionnel. En 1973, alors qu’il n’a que 24 ans, Pinochet prend le pouvoir et la famille Orrego, très à gauche, est persécutée. Juan Pablo rejoint sa mère en Équateur, où, par le biais de la musique, il découvre les peuples premiers. Une rencontre en forme de révélation : « J’ai été surpris par leur présence et leur beauté, leur façon de se tenir debout sur la Terre. Un couple qui se marie sait construire sa maison, fabriquer les outils pour travailler la terre, tailler ses vêtements… La dignité, la force, l’enracinement de ces gens est une chose incroyable. »
Des peuples indigènes à l’environnement, il n’y a qu’un pas. Juan Pablo veut comprendre « pourquoi certaines cultures mènent à la destruction des communautés et de l’environnement, et d’autres pas. » Il part à Toronto pour un Mastère en Études environnementales, combinant écologie et anthropologie. Cette formation lui sera utile : pour contrer les arguments d’HidroAysén, la filiale locale d’Endesa, il faut des connaissances. Il faut aussi proposer des alternatives à une population en mal de développement économique. Alternatives énergétiques : isoler les bâtiments, développer l’énergie solaire, éolienne ou celle des vagues, développer de petits barrages à l’impact modéré… Alternatives économiques enfin, avec le tourisme d’aventure.
Le dernier jour, Juan Pablo réussit à se mettre sur pied et à participer aux événements. C’est un franc succès : pour la première fois, toute la population de la région semble unie et impliquée. Nous rentrons ensemble sur Santiago. J’ai du mal à quitter ce personnage si charismatique. Je garderai en moi l’image de Juan Pablo me saluant sur le perron de sa maison en bois, son chien à ses côtés… Je garde surtout en mémoire son message : « Sauver la Patagonie, c’est garder l’espoir de sauver le reste de la planète. »
Texte © A. Gouyon & S. Viaud
Pays : Chili
Prix Goldman : 1997
Profession : Musicien, biologiste, agriculteur,
fondateur et Président de l’association Ecosistemas
Signe particulier : A étudié le chamanisme en partageant la vie du peuple Huichol au Mexique
« Être la voix humaine du fleuve, c’est plus qu’un honneur : une question de survie. »
Pour sauver les grands fleuves de Patagonie
Un problème :
- Construction de méga-barrages qui détruiraient les paysages, feraient disparaître des espèces vivantes et submergeraient des communautés entières
Solutions :
-Mobiliser toutes les communautés concernées et les faire exposer au niveau national leur propositions et alternatives
-Travailler avec une coalition de partenaires internationaux en utilisant l’image de la Patagonie, un des derniers espace vierge et sauvage
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