Jean Marc OUIN
Un scientifique pragmatique et ingénieux.
L’Holothuria Scabra (c’est à dire l’holothurie des sables ou encore« concombres de mer ») est le produit de l’élevage de la ferme de grossissement situé en bord de mer, sur le site de Belaza au sud de Toliara. La production en masse de cet organisme commercialisable est l’aboutissement d’un travail de recherche de huit années impliquant un partenariat entre l’université malgache de Tuléar et deux universités belges (Bruxelles et Mons). Cette aventure s’est développée suite à un constat des autorités locales et universitaires de Madagascar, lié à la surexploitation des holothuries. Ces espèces sont très faciles à collecter soit à marée basse soit en plongée.
Jean Marc est assistant technique en Biologie Marine Tropicale. Il a travaillé de 1988 à 1997 en Papouasie Nouvelle Guinée puis un an en Normandie avant de venir s’installer à Madagascar. Au sein de l’institut halieutique et des sciences marines, il a mis en place ce projet d’holothuriculture sur Toliara. Il lui a fallu être très ingénieux et inventif, pour assurer à la fois la construction des infrastructures nécessaires et la formation de son équipe.
L’institut halieutique et des sciences marines.
Toliara est une ville de pêcheur, et les vezos avec leurs pirogues à balancier sont réputés pour être les meilleurs de la grande île. L’implantation de l’institut n’est donc pas un hasard. Son musée a un rôle éducatif important, des visites organisées permettent de sensibiliser la population en général et plus particulièrement les écoliers et collégiens sur la nécessité de préserver les « merveilles de la mer ».
De nombreux pêcheurs sont illettrés et les connaissances de modes de vie des espèces, de la notion de chaîne alimentaire, de l’écosystème marin leur permettraient non seulement d’améliorer leurs techniques de pêche mais également d’éviter de pratiques d’exploitation systématique des ressources qui occasionnent des déséquilibres de l’écosystème. Selon Clémence Vololonavalona Ravelo, enseignante chercheur et responsable du musée de la mer, « les visiteurs qui ont la chance d’avoir fait connaissance avec les merveilles de la mer devraient alors sensibiliser leur entourage sur l’importance de leur protection ». Les membres de l’institut travaillent en partenariat avec les opérateurs de tourisme et les hôteliers sur la promotion du musée.
Jean Yves Manera, responsable des formations à l’Institut explique que le premier objectif est de répondre au bassin d’emploi de la région. Pour cela il faut former des techniciens supérieurs capables de travailler efficacement et de faire le lien entre les chercheurs et les pêcheurs ou ouvriers aquacoles. Les années passant, ces techniciens ont eu envie d’approfondir leur connaissances et une maîtrise en sciences et techniques de la Mer et du Littoral a été ouverte à l’institut. Aujourd’hui, onze thèses ont été mené à leur terme par des étudiants et les débouchés principaux se partagent entre l’aquaculture et l’écotourisme.
Un projet de recherche mêlant économie et environnement.
Les holothuries sont des animaux marins benthiques appartenant à l’embranchement des échinodermes (comme les étoiles de mer et les oursins). C’est un produit hautement nutritif et très riche en protéines. Il est très apprécié par les peuples asiatiques, en particulier des Chinois et Japonais qui les préparent et les consomment sous diverses formes. Les téguments des holothuries contiennent de nombreuses molécules actives parmi lesquelles des substances antifongiques et antitumorales. Outre cela les concombres de mer sont aussi très prisés pour les vertus aphrodisiaques qu’on leur attribue.
La collecte d’holothuries à marée basse ou en plongée libre est une activité traditionnelle à Madagascar. Une fois récoltées les holothuries sont éviscérées et leur tégument est séché puis fumé pour être ensuite commercialisé. Le produit sec obtenu est appelé trépang (1kg de trépang correspond plus ou moins à 10 kg d’holothuries fraîches). La production de trépang à Madagascar existe depuis le début du siècle, le produit était alors intégralement exporté vers l’Indochine. De 1920 à 1990, Madagascar exportait moins de cent tonnes de trépang par an. Le marché a connu depuis une véritable explosion et les prises culminèrent en 1994 avec quelques 650 tonnes de trépang exportées vers Singapour et Hong Kong. A raison de 4000 dollars la tonne (valeur officielle mais sensiblement sous estimée), cela a représenté une rentrée globale de plus de 2,6 millions de dollars.
Depuis 1995, si la demande sur le marché international reste très forte voire s’accentue, on note une baisse progressive de la qualité du trépang malgache conséquence de la raréfaction des espèces nobles, de la récolte accrue d’espèces à faible valeur commerciale et de la diminution des tailles des spécimens récoltés. De 650 tonnes en 1994, l’exportation est passé depuis à 320 tonnes ce qui reflète la baisse sensible des ressources disponibles. Depuis 1996, les zones de pêches se sont cependant fortement élargies par l’utilisation (illégale) de bouteille de plongée pour la récolte d’holothuries. La situation est telle qu’à défaut du développement rapide d’une technique appropriée pour la production d’holothuries, on peut annoncer la disparition à court terme d’une ressource dont l’intérêt est autant économique qu’écologique.
En effet, un type de pollution très néfaste se développe en l’absence de cet animal détritivore qui se nourrit des déchets organiques en décomposition dans l’eau de mer. Il agit comme un « éboueur » qui nettoie et filtre le sable des fonds marins. De nature fouisseur, l’holothurie retourne les sédiments, permettant de meilleurs échanges gazeux et améliorant ainsi la qualité des sols. Le prélèvement intensif de cet animal a conduit à un phénomène d’atrophisation des sols, transformant la plage de sable de Toliara existant dans les années 60 en une vaste étendue de vase.
Ici une fois encore, le défi est l’accès à la ressource. Comment interdire la collecte afin de protéger ces espèces sans ne rien donner en retour aux populations qui en dépendent pour leur subsistance ? Quelles sont les alternatives à envisager pour leur apporter un revenu de substitution ?
L’idée était de mettre au point une aquaculture complète, car il ne servirait à rien de relâcher de jeunes holothuries à la mer, elles seraient collectées avant même de pouvoir se reproduire. Des recherches existent depuis près de 40 ans dans ce domaine, mais jamais aucune équipe n’a réussit à comprendre les processus de fécondation et les possibilités de les provoquer au moment souhaité afin d’assurer la création d’un marché cohérent.
La première phase du projet a duré quatre ans et a été renouvelé suite à leurs résultats exceptionnels, au-delà de toute espérance. Leur équipe a réussi à activer la maturation des ovocytes afin de lancer les fécondations quand ils le souhaitent. Ils n’avaient plus à attendre le pic de maturation naturel. Ce sont les premiers au monde à mettre au point cette technique, qui est aujourd’hui protégée par un brevet qui a été offert aux autorités malgaches. Ils ont donc poursuivi une seconde phase de quatre ans afin de mettre en place un élevage des larves et juvéniles, puis une méthode de grossissement fiable. Il a été alors possible d’envisager pour la première fois une holothuriculture en cycle complet. L’objectif général du projet d’établir une écloserie et une ferme à holothuries, c'est-à-dire les outils nécessaires à la maîtrise du développement des juvéniles et à l’amélioration de la croissance des adultes était atteint. Cela a impliqué la formation de scientifiques et techniciens locaux capables d’assurer tant le fonctionnement de l’écloserie que celui de la ferme.
En 2007, au terme de huit années de recherche, cet ensemble pilote est à même de proposer une méthode de production et croissance d’holothuries à faible coût, écologiquement fiable et d’en démontrer la faisabilité sur le terrain. La fin du projet sera mise en place par un doctorant malgache, c’est une des plus grandes fiertés de Jean Marc de pouvoir quitter ce projet en laissant une équipe malgache compétente et autonome.
Jean Marc est donc satisfait des résultats de cette initiative et sait que l’avenir a été aussi bien préparé que possible. Néanmoins, il est sceptique quant à la pérennité de ce projet. « Il s’agit d’une question d’homme, nous avons prouvé que c’est possible, que c’est réalisable mais il faut désormais une volonté politique afin de poursuivre et faire vivre ce projet. Malheureusement, je doute qu’elle existe. Je serai curieux de revenir dans un an pour voir les réels bénéfices… »
Le futur, un développement industriel de l’activité.
Sur le plan économique, l’existence d’une écloserie et d’une ferme (autonomes sur les plans scientifiques et techniques) répond aux attentes d’entreprises privées malgaches locales et nationales qui pourraient y investir. L’implication d’entreprises privées est indispensable pour faire le lien entre la production d’holothuries et l’exportation de celles-ci vers les pays consommateurs.
Dans le cadre d’un partenariat entre entreprises privées et ferme d’élevage, l’écloserie approvisionnerait des collectivités locales (groupes de pêcheurs, villages côtiers) qui pratiqueraient le grossissement. Ces collectivités assureraient avec la garantie de l’Institut Halieutique la production en grande quantité de trépang malgache de qualité. Ce trépang serait alors directement acheté par les entreprises. Cela conforterait les membres des communautés locales leur assurant le maintien d’un revenu qui à défaut de l’installation d’une écloserie et d’une ferme performante est voué à une disparition prochaine.
Copéfrito, une des plus grosses entreprises de Toliara s’est montrée intéressée et souhaite se lancer dans cette phase de développement industriel. Cette entreprise est spécialisée dans la pêche à l’espadon et au thon ainsi que dans la collecte du poulpe. Elle exporte 90% de ses produits vers l’Europe. Cette nouvelle activité d’holothuriculture lui permettrait de diversifier ses activités et ses débouchés.
La difficulté réside dans la nécessité de trouver des surfaces très importantes afin d’assurer le grossissement final des holothuries. Pour cela, il s’agit de mettre en place un vrai schéma de développement local, créant une aquaculture de village en vendant des juvéniles aux familles qui revendraient ensuite les adultes ou directement les trépangs.
D’autres incertitudes se greffent, comment sécuriser ces sites très dispersés des possibilités de vol ? Et surtout comment vont réagir et adhérer les pêcheurs à cette nouvelle activité qui demande une mentalité d’agriculteur ?
Toutes ces questions trouveront une réponse dans l’année à venir, « c’est un réel défi, réussir à stopper la collecte sauvage afin de donner le temps à la ressource de se reconstituer et mettre en place ce partenariat avec les villages côtiers » me confie Olivier Méraud, dirigeant de Copéfrito. Défi que l’on ne peut que souhaiter qu’il mène à bien…
Texte © S. Viaud
Pays : Madagascar
Profession : Biologiste, responsable technique.
Signe particulier : Réconcilie protection environnementale et débouchés économiques
« Il s’agit d’une question d’homme, nous avons prouvé que c’est possible, que c’est réalisable mais il faut désormais une volonté politique afin de poursuivre et faire vivre ce projet. »
Un problème :
- Surexploitation d’une ressource locale, les holoturies des sables, et menace de leur disparition.
Solutions :
-Mise en place d’une aquaculture d’holoturies afin d’assurer à la fois leur survie ( et leur rôle écologique dans l’écosystème) et le maintien des ressources économiques des communautés de pêcheurs.
Pour sauver les concombres de mer
Portfolio
Contact :
Promoteur responsable : Professeur Michel Jangoux
Promoteurs associés : Professeurs Igor Eeckhaut et Mara Edouard.
Responsable scientifique : Dr. Richard Rasolofonirina
Responsable technique : Jean Marc Ouin
Socio économiste : Professeur Marc Labie
Aqua-Lab, IH.SM
Route du Port, BP 141, 601 Tuléar, Madagascar
E-mail : Aqua-Lab@malagasy.com
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