Fatima JIBRELL

 

« Par la promotion des liens entre la paix, l’implication des femmes et la protection des ressources naturelles, nous avons pu fournir aux communautés les compétences dont elles avaient besoin et générer des revenus durables. »


Le charbon, mort noire de la Somalie


15 septembre. Je suis à bord d’un avion de sept places en vol vers le Puntland, une région conflictuelle au nord-est de la Somalie. Entre mer et montagnes, l’arrivée est magnifique. Sur le tarmac, première image de Fatima : un sourire merveilleux sous un immense chapeau, qui dissipe mes angoisses de venir dans cette région du monde. Pendant dix jours, je vais traverser le pays avec elle sous la protection de gardes armés.


Nous passons notre première soirée dans la maison qu’elle occupe avec Faduma Nour, une femme énergique qui gère les bureaux de Horn Relief, l’association créée par Fatima. Dès le lendemain, je rencontre le reste de l’équipe et nous partons sur le terrain. « Quand j’étais petite, mes parents m’interdisaient de quitter notre hutte de peur que je me perde dans les hautes herbes, habitat des lions, explique Fatima. Quand je suis rentrée au Puntland après mes études aux Etats-Unis, les hautes herbes – et les lions – avaient disparu. Mon premier combat a été contre la déforestation due à la production de charbon de bois. » Or noir ou mort noire de Somalie, ce charbon de bois exporté se négocie  jusqu’à 10 $ le sac, surtout s’il provient du Sanaag, où il est fabriqué à partir d’acacias plusieurs fois centenaires. Comble de l’absurde, c’est l’Arabie Saoudite qui en consommait le plus ! Au lieu de nourrir le bétail, la végétation a servi de combustible pour préparer le charbon. Dans le même temps, la sécheresse et les conflits ont dévasté les zones rurales. Or l’absence d’arbres renforce l’effet des sécheresses. Le sol nu, compacté par la chaleur, n’absorbe plus l’eau qui ruisselle, emporte la couche de terre fertile, et crée des ravines où dégringole le peu de végétation restante. 


Au pays des 100 000 digues


Dès 2000, Fatima organise une marche pacifique contre ce désastre, et obtient l’interdiction des exportations de charbon de bois par le gouvernement du Puntland. Il lui fallut aussi mobiliser les communautés contre la « guerre du charbon » : en 2007, des éleveurs du Sanaag se sont regroupés et armés pour repousser des bandes de pilleurs de bois. Sans se soucier de son statut de femme, Fatima sait entraîner les chefs de clan. Amusé, je la verrai un jour pousser un coup de gueule contre trois gros bras penauds, qui avaient oublié d’arroser une parcelle cultivée…


Car pour faire revenir l’eau, il ne suffit pas de protéger les arbres. Pour créer un cercle vertueux, Fatima et son équipe aident les communautés à construire des digues de pierre qui stoppent le ruissellement, comblent les ravins et permettent à la végétation de se reconstituer. Ces points d’eau permettent de redémarrer des activités agricoles. « Il a fallu organiser des formations pour que les communautés réapprennent à cultiver, une compétence qui s’était perdue, » explique Fatima. Au total, près de cent mille structures de ce type parsèment le paysage, et les familles qui en bénéficient ont vu leur revenu passer de 200 à 4000 $ par saison ! Seul frein à leur diffusion : la difficulté à trouver les financements. « Les agences internationales ne font pas assez confiance dans les ONGs locales, et ne les écoutent pas assez », déplore David Hugues, directeur des programmes d’Horn Relief à Nairobi.


Avec l’énergie du soleil


Malgré ces obstacles, Fatima a aussi lancé des projets de « cash for work ». Horn Relief distribue ainsi de petites sommes d’argent aux communautés en détresse et les rétribue pour des travaux de développement : digues, points d’eau, réfection de routes… 


Un de ses derniers bébés est Sun Fire Cooking, une entreprise qui diffuse des fours solaires pour remplacer le charbon de bois comme source d’énergie. Avec son équipe, nous visitons un centre de soins où le matériel est ainsi stérilisé, avant de rencontrer des familles qui utilisent ces cuisinières solaires : il faut à peine deux minutes pour faire bouillir une casserole d’eau ! La formation des femmes a été un élément essentiel de succès du projet. Infatigable, Fatima me parle de sa dernière idée : reconstruire une jetée, une pêcherie et une usine de thon détruites par un raz-de-marée, sous forme coopérative, pour donner du travail aux pêcheurs. Nous terminons par une visite à la tante de Fatima, qui à 90 ans garde un rire communicatif. C’est déjà ma dernière soirée au Puntland, je suis triste de partir. Triste, mais confiant puisque grâce à Fatima et son équipe, l’espoir existe en Somalie.»

Textes A. Gouyon & S. Viaud

Pays : Somalie


Prix Goldman : 2002


Profession : Fondatrice de l’association Horn Relief et co-présidente de Sun Solar Cooking


Signe particulier : Naturalisée américaine, n’a pas hésité à revenir chez elle pour aider son pays malgré la guerre.

« Par la promotion des liens entre la paix, l’implication des femmes et la protection des ressources naturelles, nous avons pu fournir aux communautés les compétences dont elles avaient besoin et générer des revenus durables. »

Un problème :

  1. -Déforestation des dernières forêts d’acacias pour le charbon, érosion des sols, destruction des possibilités agricoles.


Solutions :

  1. -Mobiliser les communautés et fédérer les clans pour interdire les exportation de charbons de bois.

  2. -Utiliser les ressources locales pour restaurer l’environnement.

  3. -Promouvoir une énergie alternative.

Pour faire reculer le désert

PortfolioPorfolioFatimaJibrell.html

Contact :


Horn Relief - To promote sustainable peace and development

www.hornrelief.org


Sun Fire Cooking - People and the Environment before Profit

www.sunfirecooking.org