Elias Diaz PENA

 

Un homme qui allie discrétion et fermeté


Assis paisiblement dans un des confortables fauteuils d’un hôtel du Swaziland, Elias est bien loin de chez lui. Il participe aujourd’hui à la conférence internationale des « Amis de la Terre », contribuant à ce vaste mouvement de partage d’expériences et compétences entre les communautés du monde entier dans le domaine de la préservation de l’environnement. Sourire timide, regard serein, Elias semble fragile. La cohérence et la force de son discours me prouvent à quel point cette première impression est fausse.


L’intérêt d’Elias pour l’environnement s’est éveillé très tôt, lors de son enfance dans la maison familiale située près d’Asunción. Il y a développé une grande sensibilité pour nature et compris l’importance de la préserver, au regard notamment des populations qui en tirent leurs moyens de subsistance.


Après avoir achevé son parcours universitaire au Paraguay, Elias part aux Etats-Unis et y étudie l’hydrologie. Il y acquiert de nouveaux éléments et comprend mieux les rôles qu’assume la Nature et comment ils sont menacés de manières très différentes par les activités humaines. Son premier combat a débuté à la fin des années 1980, lors du projet de construction d’un barrage et d’une centrale hydro-électrique à la frontière entre le Paraguay et l’Argentine, à Yacyretá. Au départ, en qualité d’ingénieur et d’hydrologue, il pensait que ce type de grand ouvrage était positif et pouvait être une source d’énergie propre. Il a ainsi même contribué aux plans de ces barrages.


Mais il a rapidement vu lors des phases de réalisation et d’édification du projet que les entreprises et l’Etat ne tiendraient pas leurs engagements et leurs promesses de compensations à destination des populations dont les lieux et modes de vie seraient irrémédiablement détruits. Il a également compris l’impact réel et les conséquences désastreuses sur l’environnement de ce type d’immense barrage.


En plusieurs années, ce projet a inondé les foyers de près de 50.000 personnes, a interrompu abruptement les migrations de poissons, et par conséquent stoppé les activités de pêches et modifié les régimes alimentaires des communautés. De plus il a profondément altéré le système des eaux souterraines de la région. Selon la conception d’origine, le projet Paraguay-Paraná établi par Hidrovía devait convertir 3.400 kilomètres des fleuves Paraguay et Paraná en un canal consacré à la pêche industrielle. Cela aurait inévitablement conduit à mettre en danger une des plus vaste zone humide du monde, le Pantanal, et à détruire les économies locales de communautés aussi bien au Paraguay, qu’en Bolivie, au Brésil, en Argentine et en Uruguay.


Heureusement pour les populations, la faune et la flore dont la survie dépend de ces fleuves et des écosystèmes qu’ils abritent, Elias et son collègue Oscar se sont impliqués dans la recherche de solutions à travers leur organisation « Sobrevivencia ».


Un combat emblématique, le barrage de Yacyretá


Elias et Oscar ont fondé « Sobrevivencia » en 1986, alors que le Paraguay se débattait toujours sous le régime dictatorial du Général Alfredo Stroessner, dont les initiatives de développement économique ont mené à des dégradations très sévères de l’environnement. « Sobrevivencia » s'est donné comme mission de reconstituer la qualité de la vie des paraguayens les plus pauvres et marginalisés, à travers des programmes de protection environnementale.


La première préoccupation de ces deux amis fut de s’assurer que les engagements pris en terme de déplacements de populations, de compensations et que les programmes de restauration environnementale qui étaient prévus lors de la conception du barrage soient bien exécutés. Elias et Oscar se sont donc impliqués au côté des communautés affectées par le barrage de Yacyretá dès 1991. « Sobrevivencia » a notamment initié en 1996 une réclamation auprès du bureau d’inspection indépendant de la Banque Mondiale et de celui de la Banque Interaméricaine de Développement. L'organisation a démontré que les failles les plus graves de ce projet ont été provoquées par des violations des politiques environnementales de ces institutions. Cette action a mené à la mise en place d'un nouveau modèle d’évaluation des conséquences sociales et environnementales, employé pour étudier d'autres projets de développement de ce type.


Dans ce combat contre le projet développé par Hidrovía, Elias et Oscar ont mené une coalition de 300 groupes indigènes, de communautés locales et d'écologistes des cinq nations concernés et ont créé le concept de "conférence flottante." Cette campagne éducative a voyagé sur près de 1.200 kilomètres le long du fleuve du Paraguay dans trois bateaux traditionnels, pour rencontrer l’ensemble des membres des communautés locales et les alerter des conséquences et implications du barrage. Ils ont réussi à persuader les partenaires financiers du projet d’Hidrovia de ses incidences sociales et environnementales très négatives. Ils ont alors proposé des solutions alternatives durables et qui n'exigeaient pas d’interventions à grande échelle sur les fleuves.


Leurs adversaires les plus farouches furent assez paradoxalement le gouvernement paraguayen, propriétaire des entreprises et les Banque Mondiale et Banque Interaméricaine de Développement qui ont accordés les emprunts. Leur plus grande difficulté a été de réussir à faire entendre leur voix au niveau des centres de pouvoirs et de décision. Avec l’appui d’organisations internationales, ils ont finalement réussi à faire passer leurs doléances jusqu’aux bureaux de ces institutions financières internationales.


Mais malheureusement, la bataille a été perdue car le barrage a été finalisé dans sa conception initiale, sans tenir véritablement compte de leurs réclamations. Cette conclusion est liée  principalement aux pressions intenses de l’Argentine qui a un besoin croissant d’énergie pour ses industries.


Elias lutte toujours aujourd’hui, il souhaite voir l’environnement et la qualité de vie des populations restaurés. Il travaille dans ce but en étroite relation avec les communautés locales, un réseau d’organisations environnementales paraguayennes et argentines et s’applique à responsabiliser les membres des Parlements des deux pays. C’est une tâche difficile… Pour Elias, la solution réside en effet dans le succès à faire travailler ensemble les deux gouvernements, pour que l’un comme l’autre ne puisse plus se réfugier derrière l’aspect transfrontalier ou supra national du projet et refuser de prendre ses responsabilités.


Pour cela, il faut construire une conscience aiguë de ces enjeux au sein de la population (notamment en ce qui concerne leurs droits) et pouvoir ainsi créer une pression soutenue du public sur le gouvernement.  « Sobrevivencia » développe des groupes de travail avec les communautés, des rencontres avec les responsables politiques et des programmes de sensibilisation dans les médias. Mais leurs adversaires maintiennent eux aussi une pression importante. Par exemple, l’organisation avait mis en place un programme radio de 4h par semaine pour écouter et transmettre les problèmes rencontrés par les populations affectées par le barrage. Cette émission a été diffusée pendant un an et demi. Puis, l’entreprise responsable du projet de barrage a réussit à racheter la radio et a arrêter ce programme…


Ce n’est bien évidemment pas la seule lutte de « Sobrevivencia ». En plus de son travail international, l'organisation développe des campagnes régionales qui comprennent notamment un programme d'agriculture durable pour des centaines de familles, des propositions de légalisation des territoires indigènes et de politiques territoriales de la région de Gran Chaco. L'organisation a également contribué à la création d’aires protégées locales et nationales et de deux fermes expérimentales.


Mais ce combat est emblématique des conséquences de ce type de barrage gigantesque sur les populations, les  écosystèmes et les ressources naturelles.


Un problème fondamental, pratiques politiques et gouvernance


Depuis sa création, « Sobrevivencia » travaille activement au renforcement de la démocratie au Paraguay. L’organisation propose des formations destinés aux jeunes afin qu’ils s’impliquent et deviennent des acteurs au sein de leurs communautés. Et elle continue à influencer les politiques publiques afin qu’elles protégent davantage les droits des citoyens souffrant des conséquences de projets de développement mal conçus.


Pour Elias, si travailler localement est essentiel, ce n’est pas suffisant pour autant. Pour résoudre définitivement ces problèmes, il faut également travailler au niveau national et international, afin d’influer de manière décisive sur la rédaction des politiques et législations sociales et environnementales. Dans cette optique, la coopération et les conventions internationales sont capitales. Elle permettent de se constituer un réseau d’alliés et donnent un sens de communauté, de ne pas être seul dans ce combat quotidien.


Et c’est aujourd’hui le plus grand défi : construire une vraie démocratie qui fonctionne au Paraguay. Majorité de cadres au pouvoir aujourd’hui étaient déjà présents sous la dictature. Le système est donc toujours aussi corrompu, une grande partie des fonds destinés à la construction du barrage et aux compensations des populations a été détourné. La corruption du système politique est un des problèmes fondamentaux à résoudre pour pouvoir réellement avancer.


Pourtant le Paraguay dispose d’excellentes lois et de très bonnes structures institutionnelles. Mais le plus souvent, elles ne sont pas respectées… Elias reste optimiste, pour lui se dessine un mouvement très intéressant en Amérique du Sud. Un mouvement qui porte la population à réinvestir la vie politique. Non pas comprise comme le fait de voter une fois de temps à autre, mais comme « faire partie de » et d’avoir une incidence réelle dans les processus de décision.


Son espoir le plus vif est permettre la restauration et la préservation des modes de vie des populations qui font face à des risques de plus en plus variés et conséquents. Les monocultures appauvrissent dangereusement la biodiversité et la déforestation sauvage fait disparaître les ressources en eau…


Texte ©  S. Viaud

Prix partagé avec Oscar RIVAS.


Pays : Paraguay


Prix Goldman : 2000


Profession : Hydrologiste, fondateur de Sobrevivencia


Signe particulier : Possède la force tranquille de l’eau en mouvement

« Pour construire des sociétés durables, nous devons repenser le modèle de développement fondé sur l'exploitation des ressources, qui nous est imposé par la puissance du système international.

Nous devons le remplacer par de nouveaux modèles plus créatifs, provenant des réflexions des communautés locales, basés sur leurs priorités et besoins réels et orientés sur le rétablissement et la protection de leur qualité de vie. »

Pour la liberté des hommes et des fleuves

Contact :


Sobrevivencia

www.sobrevivencia.org

Un problème :

- Construction de méga-barrages, mort des fleuves et des zones humides nécessaires à la vie


Solutions :

  1. -Utilisation des ses compétences professionnelles pour dénoncer les dangers du projet

  2. -Assurer les populations lésées de justes compensations

  3. -Travailler conjointement avec les communautés et les financiers

  4. -Faire travailler ensemble l’ensemble des gouvernements concernés