Demetrio do Amaral
de CARVALHO
Au cœur de la jungle
3 avril. À peine arrivé au Timor oriental, je suis en pleine action. J’ai passé la journée avec Demetrio de Carvalho et son assistant Virgilio, à visiter les projets de conservation et restauration de l’environnement qu’ils mènent avec les communautés. En rentrant vers Dili, la capitale, nous tombons sur une décharge sauvage où un camion vient de déposer des débris de bois. Ceux-ci sont en feu et l’incendie risque de gagner la forêt voisine. Nous essayons en vain de lutter. Demetrio chantonne, il appelle la pluie. Je suis à la fois sceptique et sensible à cette foi dans les éléments… quand des trombes d’eau éteignent le feu. Je suis troublé. Paisible, Demetrio sourit.
Cette proximité intuitive, presque mystique avec la Nature, c’est au cœur de la jungle que Demetrio l’a acquise. Enfant, il s’y est réfugié avec sa famille pour échapper à l’armée indonésienne. « Nous avons appris à choisir les feuilles des arbres, à les faire bouillir pour éliminer les éléments toxiques... C’est ainsi que j’ai saisi l’importance de la Nature pour notre peuple. Quand je suis parti étudier en Indonésie, j’ai choisi la biologie, et j’ai rejoint non seulement le Mouvement pour l’indépendance du Timor, mais aussi le groupe des défenseurs de la Nature. »
Il est difficile d’imaginer le traumatisme subi par ce pays d’un peu plus d’un million d’habitants. Colonie portugaise, le Timor se déclare indépendant en 1975 pour être aussitôt envahi par l’Indonésie. L’armée du général Soeharto tentera en vain d’écraser la résistance en commettant emprisonnements, tortures, viols et massacres : un génocide qui fera plus de 200 000 victimes. Ayant voté pour son indépendance en 1999, après le départ de Soeharto, ce pays très pauvre est alors pillé, saccagé par des milices pro-indonésiennes. L’environnement a subi sa part de destructions : l’armée indonésienne a systématiquement détruit les forêts, où se cachaient les résistants.
Quand la reconstruction passe par l’environnement
Une poignée d’hommes déterminés tentent aujourd’hui de reconstruire le pays. Parmi eux, Demetrio lutte pour l’environnement : « Nous devons montrer qu’il n’y a pas de contradiction entre l’urgence d’une reconstruction économique et la protection des milieux naturels : au contraire, il n’y aura pour le Timor oriental de développement durable qu’adossé à une politique de l’environnement. » Son mouvement, Haburas, signifie « Reverdir » en tetum, la langue locale. Proche des leaders du pays, dont il a partagé la lutte pour l’Indépendance, Demetrio a fait inclure quatre articles-clés sur la protection de l’environnement dans la constitution : un exemple pour bien des pays.
Pour lui, si l’avenir du Timor passe par ses paysans, il est hors de question de répéter les erreurs de l’agriculture intensive dont on connaît les dégâts. Il questionne aussi le modèle touristique dominant : « Alors qu’il faudrait promouvoir un tourisme éthique soucieux des spécificités culturelles et des richesses naturelles du pays, le Timor pourrait devenir la proie du tourisme de masse. Peut-être sommes-nous en train d’échanger une forme de dépendance coloniale pour une autre ? »
S’appuyer sur la sagesse locale
Haburas encourage plutôt les Timorais à se réapproprier leur environnement, grâce à l’éducation : « Interdire la coupe des arbres quand elle conditionne la survie n’aurait pas grand sens… Nous travaillons avec les communautés pour identifier leurs problèmes et élaborer ensemble des solutions. Tel village a de riches ressources en bambou : nous formons les gens à des utilisations lucratives du bambou. » Demetrio responsabilise les villageois, qui doivent participer aux projets avec un rôle bien défini dans la durée, par exemple pour la maintenance des infrastructures. Une méthode apprise de ses premiers échecs : « Nous avions construit des petits restaurants pour les pêcheurs, sans les impliquer suffisamment. Résultat : ils les ont tous vendus à des Chinois. »
Demetrio s’appuie aussi sur la sagesse locale. Lors d’un second séjour au Timor, en juin, j’aurai la chance d’assister avec lui à une cérémonie du Tara Bandu, une tradition interdite sous l’occupation, et que Haburas aide à faire revivre. Ce rituel permet notamment de préserver les ressources naturelles. Avec l’accord de l’ensemble de la communauté, les anciens décident des espèces à protéger (arbres, fruits, animaux…), dont il faut interdire l’exploitation. Danses, musiques et discours viennent rythmer cette cérémonie. Il me faudra du temps avant que l’émotion de ce qui s’est joué ici me quitte.
Texte © A. Gouyon & S. Viaud
Pays : Timor oriental
Prix Goldman : 2004
Profession : Biologiste, fondateur et Président
de l’association Haburas (« Reverdir »).
Signe particulier : De neuf à quatorze ans, après l’assassinat de son père, a survécu dans la jungle pour échapper à l’armée indonésienne.
« Le Timor oriental doit apprendre des pays voisins d’Asie et du Pacifique. Les modèles de développement qui sont devenus mauvais doivent nous servir de leçon. Nous ne voulons pas répéter les mêmes erreurs. »
Pour reverdir le Timor oriental
Contact :
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Po Box 390
tel: +670 3310103
Un problème :
-de longues années de guerre ont ravagé le pays, à tous points de vue
Solutions :
-reconstruire en parallèle le politique, l’économie et l’environnement
-apporter des articles environnementaux à la Constitution
-écouter les communautés et les préparer à leurs droits/devoirs avant de lancer des projets de restauration de l’environnement
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