Bruno VAN PETEGHEM
Un Paradis menacé
Situé au sud de l’océan Pacifique, l’archipel mélanésien de Nouvelle-Calédonie semble être un petit paradis. Il présente un endémisme parmi les plus élevés du monde au regard de sa superficie. Son magnifique lagon, délimité par une barrière récifale presque continue d’environ 1600 kms de long, est l’un des plus vaste du monde et renferme des milliers d'espèces. Cet état de conservation a été pratiquement préservé jusqu’à ce jour, du fait d’une faible population. Aujourd’hui encore 245000 personnes seulement vivent en Nouvelle-Calédonie.
Mais si la particularité de ses sols métallifères a engendré l’apparition d’une extraordinaire biodiversité, elle a également permis une importante activité économique minière. En effet, ses terrains contiennent notamment 1/4 de la réserve mondiale de nickel et le plus gros gisement d’hydrates de gaz.
Depuis la fin du XIXème siècle, il y a eu de nombreuses exploitations minières qui ont perturbé ou détruit l'environnement terrestre et littoral. Le schéma général est classique : destruction du couvert végétal, mise à nu du sol, érosion, encrassement des rivières, ruissellement des sédiments jusqu’aux lagons. Pour la partie marine la perturbation est donc essentiellement une hyper sédimentation, c’est-à-dire l’étouffement des récifs, la turbidité des eaux du lagon et l’envasement des fonds.
Qui paye, gouverne
Au départ, l’engagement de Bruno est né d’un simple problème de voisinage. Aurait-il pu croire que cela le mènerait à être « expulsé » de Nouvelle-Calédonie ?
En effet, avoir attaqué en justice un projet immobilier illégal lui a valu beaucoup d'ennuis. Habitant pointe de l'Artillerie, Bruno apprend en 1994 qu'un projet immobilier va lui boucher la vue sur la baie. Avec d’autres riverains, il fonde l'Association de la baie de Moselle et entame un bien long parcours juridique. « L’idée était de faire appliquer les lois françaises, donc la loi littorale. Les avocats sur place ne voulaient pas travailler pour moi donc je suis allé seul en justice, j’ai repris les bouquins de droit administratif… » Au terme d'une longue bataille de procédure, l'association finit par gagner et en 1997 la cour administrative d'appel de Paris annule le permis de construire.
En novembre 1998, la voiture et le garage de Bruno brûlent. Le 31 décembre, c'est sa maison qui flambe entièrement. Sa femme et ses trois enfants étaient heureusement absents. Au lendemain de ce second sinistre, Jacques Lafleur déclare : « Il s'est piégé en voulant jouer au plus malin. Mais quelles que soient les décisions, on ne démolira rien. » Et en effet, les logements incriminés sont déjà construits et habités, Bruno et son association réclament alors leur démolition à plusieurs reprises. En août 2003, le tribunal administratif de Nouméa finit par rejeter leurs demandes.
Quoi qu'il en soit, le combat de Bruno évolue bien vite au-delà de la simple défense des droits d'habitants de quartier et il semble peu à peu canaliser derrière lui la « contestation » du « système Lafleur », sa cause s'étendant à d'autres domaines et notamment la protection de l'environnement. Il participe ainsi à la création de l’Association Corail Vivant et d'une section locale du parti national Les Verts, baptisée « Verts Pacifique ».
Il se développe alors en Nouvelle Calédonie deux nouveaux projets miniers : celui de Falconbridge-XSTRATA au nord, et celui de Goronickel avec INCO-VALE, au sud. Ces projets, qui à l'échelle mondiale sont gigantesques, ont donc sur ce petit archipel du Pacifique, de monstrueux effets environnementaux. « En l'absence d’un Code de l'Environnement opposable, les recours sont quasiment nuls, voire impossibles ! Et donc pour moi, c’est donc bien le règne de qui paye, gouverne ! »
Corail Vivant tente de réagir et réussit à faire annuler le permis de construire de l’usine, puis propose dès l’an 2000 un dossier pour le classement intégral des récifs coralliens et des écosystèmes associés sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO.
En 2001, la remise du Goldman Environmental Prize à Bruno Van Peteghem permet le retrait de deux banques allemandes du tour de table des investisseurs. Le projet est alors ajourné, faute de moyens.
Mais en mars 2003, pour s’être opposé pendant 10 ans avec succès au député Jacques Lafleur, Bruno est licencié abusivement de son travail ce qui, sur une petite île où les pouvoirs politiques et économiques sont entre les mêmes mains, équivaut concrètement à une expulsion. Le Canard Enchaîné a alors parlé d’extradition économique. « On ne m’a pas fait peur et je continue à y croire. J’ai plutôt une ambition bonheur qu’honneur pour avancer ! »
La relève des Kanaks
Le départ de Bruno ne sonne pas la fin de Corail Vivant et du mouvement de contestation qui est né, au contraire. Sur place, la relève est assurée par Marina Kahlemu, une femme kanake qui va permettre un engagement encore plus fort des communautés. Comme souvent dans les îles du Pacifique, l’accueil insulaire est familial et principalement orienté vers le don. Et c’est par cette notion de don que le peuple premier s’est distingué très officiellement dès le début du projet. À travers le Sénat coutumier kanak, il a offert à la planète, via l’UNESCO, les récifs coralliens dont il a été le dépositaire jusqu’à aujourd’hui. Si l’association Corail Vivant a été la première des chevilles ouvrières pour lancer l’idée de ce classement, le dossier n’aurait pas vu le jour sans la volonté politique et institutionnelle sans faille à compter de 2005. Le pouvoir politique ayant changé de main en octobre 2003. Et Bruno fait alors le relais à Paris et en Europe.
Les actions contre l’usine Goronickel sont alors menées au Tribunal Administratif de Nouméa, par les Kanak, représentés notamment par l’association Rheebu Nuu (l’Oeil). Et ce avec succès « En juin 2007, l’association Rheebu Nuu obtient l’annulation du 2e permis, toujours pour des raisons de non-respect environnemental. Mais la construction continue, illégalement et sous la protection de l’armée française ! » rappelle Bruno.
Et enfin en juillet 2008, l’inscription au Patrimoine Mondial est acquise, même si elle reste partielle.
Vers des zones sacrifiées ?
Corail Vivant reste aujourd’hui force de proposition et veut aller bien plus loin pour éviter que la Nouvelle-Calédonie et les autres pays océaniens qui bénéficient du Fonds Européen de Développement ne deviennent pas un jour « une des plus belles poubelles du Pacifique ».
« C’est très difficile d’aller avec une épée en bois face à des pouvoirs économiques et politiques énormes. Nous ne souhaitons pas empêcher le développement mais faire en sorte qu’il s’accompagne de règles. Aujourd’hui, les études d’impacts appartiennent à ceux qui les payent, il faut donc les moyens de les réaliser et de payer les scientifiques. On sait donc bien quels résultats vont arriver. Si les scientifiques ne disent pas que tout va bien, on leur coupe les vivres… »
L’association a donc imaginé la création du concept de « zone sacrifiée ». Les plans de gestion seraient issus du Code du Commerce Extérieur français et tel qu’il est appliqué par les services des douanes c’est à dire: « ...tout est interdit sauf ce que l’on va décider de sacrifier. Et le terme est fort car c’est un réel sacrifice, on va détruire irrémédiablement pour une usine, une maison, une route… il faut en avoir conscience. » Il sera donc possible de mieux contrôler, par la force de répression et les fonds publics, tout en impliquant la responsabilité des fonds privés.
Pour cela Corail Vivant souhaite mettre en place un Bureau de l’Ethique Industriel et Commercial afin que chaque pays ne puisse pas se contrôler lui même. « Chaque pays possède un organisme scientifique capable de contrôler avec les mêmes règles un autre pays. » Ce bureau pourrait définir l'impact environnemental des projets industriels et étudier et critiquer les études fournies par les sociétés concernées. L'avis du BEIC serait alors fourni aux investisseurs publics et privés, et les conclusions des rapports mises à la disposition des populations. Cela semble tellement évident que l’on peut se demander pourquoi une telle institution- qui pourrait travailler aussi sur les OGM, les polluants, etc…- n'est pas encore mise en place.
« L'homme et la nature sont inséparables. Si nous l’ignorons, nous périrons. La survie du corail dépend des activités humaines où qu’elles se développent - sur terre, en mer et dans l'atmosphère. Il nous reste encore le temps de faire les bons choix. »
Texte © S. Viaud
Nom: Van Peteghem
Prénom : Bruno
Pays : Nouvelle Calédonie (France)
Prix Goldman : 2001
Profession : Fondateur de Corail Vivant, du Parti politique Vert Pacifique, personnel naviguant sur AIRFRANCE et trésorier de l’Association Toxicologie Chimie
Signe particulier : Reste une infatigable force de proposition
« Normalement, nous faisons tous partie de la même République : Liberté, Egalité, Fraternité. C’est ce en quoi je croyais et j’en suis revenu. Je préfère aujourd’hui Amour, Respect et Partage. »
Un problème :
-Remblais illégal sur le domaine public maritime national.
-Implantation de mines (exploitation de nickel et cobalt) sans préoccupations environnementales.
Solutions :
-Saisir la justice pour faire respecter la loi.
-Créer un mouvement liant associations, représentants coutumiers et monde politique.
-Faire des propositions alternatives innovantes : doter des zones d’un statut particulier afin de mieux les préserver et créer un Bureau de l’Ethique Industrielle et Commerciale.
Pour sauver la couleur des océans
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